ROUSSEAU Jean-Jacques (1712-1778)

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ROUSSEAU Jean-Jacques (1712-1778)
L.A.S. «JJRousseau», Motiers 22 juillet 1764, à Sidoine SÉGUIER de SAINT-BRISSON ; 3 pages in-4, adresse avec cachet de cire rouge (sceau écrasé ; papier bruni, lettre fendue aux plis, trace de réparation au scotch). Longue lettre de conseils à un jeune disciple exalté, et sur la religion. [Le marquis de Saint-Brisson (1738-1773) avait abandonné le séminaire pour la carrière militaire, et s'adonnait aussi à la littérature. Admirateur éperdu de Rousseau, il lui rendit visite à Montmorency en 1761 : «Le seul Français qui parut me venir voir par goût fut un jeune officier du régiment de Limousin», écrit Rousseau dans les Confessions. Se considérant comme le disciple de Jean-Jacques, il voulait, en 1764, quitter l'armée pour les lettres, et s'est brouillé avec sa mère dévote, ne pouvant l'arracher à l'influence des prêtres, allant jusqu'à rompre avec l'Église, ce dont Rousseau le dissuade dans cette lettre, tout en calmant ce jeune exalté.] «Je crains, Monsieur, que vous n'alliez un peu vîte dans vos projets, et il faudroit quand rien ne vous presse proportionner la maturité des délibérations à l'importance des résolutions. Pourquoi quitter si brusquement l'état que vous aviez embrassé quand vous pouviez à loisir vous arranger pour un autre, si tant est qu'on puisse appeler un état le genre de vie que vous vous êtes choisi, et dont vous serez peut-être aussitôt rebuté que du premier ? Que risquiez-vous à mettre un peu moins d'impétuosité dans vos démarches et à tirer parti de ce retard pour vous confirmer dans vos résolutions par une plus meure étude de vous-même ? Vous voilà seul sur la terre dans l'âge où l'homme doit tenir à tout ; je vous plains, et c'est pour cela que je ne puis vous approuver, puisque vous avez voulu vous isoler vous-même au moment où cela vous convenoit le moins. Si vous croyez avoir suivi mes principes, vous vous trompez ; vous avez suivi l'impétuosité de votre âge ; une démarche d'un tel éclat valoit assurément la peine d'être bien pesée avant d'en venir à l'exécution. [...] L'effet naturel de cette conduite a été de vous brouiller avec Madame votre mère. [...] à quoi bon aller effaroûcher la conscience tranquille d'une Mère en lui montrant sans necessité des principes différens des siens ? Il falloit [...] garder ces sentimens au dedans de vous pour la règle de vôtre conduite, et leur premier effet devoit être de vous faire endurer avec patience les tracasseries de vos Prêtres et de ne pas changer ces tracasseries en persécutions en voulant secouer hautement le joug de la Religion où vous étiez né. Je pense si peu comme vous sur cet article que, quoique le Clergé protestant me fasse une guerre ouverte et que je sois fort éloigné de penser comme lui sur tous les points, je n'en demeure pas moins sincèrement uni à la communion de nôtre Eglise bien résolu d'y vivre et mourir s'il dépend de moi : car il est très consolant pour un croyant affligé de rester en communauté de culte avec ses frères et de servir Dieu conjointement avec eux. Je vous dirai plus : je vous déclare que si j'étois né catholique je demeurerois bon catholique, sachant bien que vôtre Eglise met un frein très salutaire aux écarts de la raison humaine, qui ne trouve ni fond ni rive quand elle veut sonder l'abîme des choses, et je suis si convaincu de l'utilité de ce frein que je m'en suis moi-même imposé un semblable en me prescrivant pour le reste de ma vie des règles de foi dont je ne me permets plus de sortir. Aussi je vous jure que je ne suis tranquille que depuis ce tems-là, bien convaincu que sans cette précaution je ne l'aurois été de ma vie». Il lui parle «avec effusion de cœur et comme un père parleroit à son enfant. Vôtre brouillerie avec Madame vôtre mère me navre. J'avois dans mes malheurs la consolation de croire que mes écrits ne pouvoient faire que du bien [...] Je sais que s'ils font du mal ce n'est que faute d'être entendus. [...] un fils brouillé avec sa mère a toujours tort. De tous les sentimens naturels le moins altéré parmi nous est l'affection maternelle. Le droit des mères est le plus sacré que je connoisse, en aucun cas on ne peut le violer sans crime. Raccomodez-vous donc avec la vôtre : à quelque prix que ce soit appaisez-la : soyez sur que son cœur vous sera rouvert si le vôtre vous ramène à elle», quitte à «faire le sacrifice de quelques opinions inutiles, ou du moins les dissimuler. [...] Il n'y a pas deux morales. Celle du Christianisme et celle de la Philosophie sont la même. L'une et l'autre vous impose ici le même devoir : vous pouvez le remplir, vous le devez, la raison, l'honneur, vôtre intérêt, tout le veut, et moi je l'exige pour répondre aux sentimens dont vous m'honorez. Si vous le faites comptez sur mon amitié sur toute mon estime, sur mes soins [...] Si vous ne le faites pas vous n'avez qu'une mauvaise tête ou qui pis est vôtre cœur vous conduit mal, et je ne veux conserver de liaisons qu'avec des gens dont la tête et le cœur soient sains»
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