Le marché
ENTRE OMBRE ET LUMIÈRE
DE PEBBLE BEACH À HAMPTON COURT


 
Alors que les pelouses des greens de golf californiens se sont vidées et que l’encre des contrats de vente a séché, il est venu le temps de décrypter les chiffres pour comprendre ce qui s’est réellement passé cet été sur la péninsule américaine.

Forts de catalogues de vente impressionnants, le poids des millions a finalement ralenti la machine… Si 2022 fut un succès à tous les niveaux, 2023 restera en dessous des objectifs fixés par les quatre maisons américaines officiant pendant la folle semaine de Pebble Beach. Avant de rentrer dans le détail et de se focaliser sur le marché des Ferrari, il est important de mesurer les grandes tendances du marché et ses orientations. Si celui-ci est plus jeune, il est intéressant de constater que l’âge moyen des voitures proposées restait à 59 ans (1964) mais que le nombre de voitures présentées explosait en passant de 572 à 648, cela étant en grande partie dû à la jeune maison Broad Arrow qui passait de 90 à 169 voitures. Au risque de paraitre pessimiste (ce que je ne suis pas), l’augmentation du nombre de voitures présentées est bien le seul chiffre en hausse en 2023 car tous les indicateurs de performance ont quant à eux chuté : taux de vente, vente sous l’estimation, prix moyen, vente au-dessus de l’estimation… Juste avant que la crise du COVID ne se déclenche, 2019 avait marqué un vrai ralentissement du marché à Monterey. L’édition 2023 laissera, elle aussi, un souvenir mitigé.

Si les collectionneurs américains sont plus « joueurs » que ceux de la vieille Europe, les vendeurs ayant signé pour le « Sans Réserve » ont dû avoir mal au crâne ! Aidés par une quantité importante de « No Reserve » justement (52% + 10% par rapport à 2022) RM Sotheby’s et Gooding affichèrent des taux de vente à 86 % et 80% en baisse respectivement de 9 et 5 points. Si cela a eu pour conséquence directe de faire grimper en flèche le pourcentage de voitures vendues sous l’estimation basse (passant de 50 à 65% en 2023), la valeur moyenne des voitures vendues chute elle aussi à 681 163 $ contre 813 967 $ en 2022. Bien sûr, quelques exceptions se cachent dans ces chiffres et à ce petit jeu, la marque au cheval cabré s’en tire la tête haute, notamment grâce à la vente de la Ferrari 412 P pour plus de 30 millions de dollars. Au final, depuis le 1er janvier, quatre des cinq voitures les plus chères de l’année restent des Ferrari et totalisent à elles seules 78 millions de dollars.

Nous en parlions plus haut dans ces lignes, le plus intéressant selon moi est l’âge des voitures présentées et pour la première fois le nombre de voitures d’avant-guerre atterrissant sur le marché des enchères pour la première fois. Nous devrons élargir le spectre et mettre Ferrari un temps de côté pour l’expliquer, mais vous comprendrez que tout est finalement lié. Dans un marché en mutation où les blockbusters viennent des années 1980 à 2000, les années 1960 ont encore une fois été les têtes d’affiche suivies de près par des voitures des années 1910 à 1930. Dans cette catégorie, la performance de Gooding & Co est à saluer avec trois voitures de 1912, 1914 et 1933 dans le top 10 avec des prix supérieurs à 4 millions de dollars. De son côté, RM Sotheby’s, faute d’avoir vendu son 250 LM #6053 estimé entre 18M$ et 20M$ parvient à placer sa Jaguar XKSS de 1957 en deuxième position à plus de 13M$. La moyenne d’âge du Top Ten 2023 est donc de 61 ans…
Voir des voitures n’ayant jamais quitté la même famille ou dans les mains d’un même propriétaire depuis plus de 40 ans est en revanche révélateur d’une passation voulue par des collectionneurs avançant en âge et arbitrant leur patrimoine. Ceux qui ont acheté dans les années 1980 passent le relai et fort heureusement, le marché y répond favorablement. Le meilleur exemple est certainement la vente du 250 GT SWB Berlinetta #3507 par Gooding & Co à plus de 9,4M$. Son strict état d’origine et ses quatre propriétaires successifs l’avaient précieusement conservé à l’écart du marché depuis 1967 ! Son prix largement mérité fait d’elle la 7ème plus forte enchère de l’année.

Sans transition la vente de la collection Lost and Found chez RM Sotheby’s était l’une des plus attendues de la semaine. Réunissant vingt Ferrari appartenant au collectionneur solitaire Walter Medlin, elle a fait parler couler beaucoup d’encre. Menée par son 275 GTB/6C de 1965 à 3,3M$, la collection a atteint à elle seule un résultat de plus de 26 millions de dollars. Malgré des chaises vides dans la salle de Portola (une première !), les enchères furent disputées avec un grand nombre d’acheteurs européens. Si l'offre gagnante sur l'ex-Targa Florio GTB/C provenait d'un collectionneur américain (un prix solide compte-tenu de sa carrosserie modifiée avec un nez acier), ce qui restait de la Ferrari 500 Mondial Spider Series I Pinin Farina rejoindra le garage d’un collectionneur européen pour près de 1,9M$... un prix que certains jugeront décevant mais à mettre en perspective avec les 2,1M$ obtenu pour le 500 Mondial #0430 MD vendu par Gooding à Pebble Beach en 2022.

Pour conclure le chapitre de Pebble Beach, les 4,2M$ obtenus par Broad Arrow pour sa Ferrari F50 est un résultat décevant si on le compare aux 5 millions et plus obtenus en mars 2023 et décembre 2022 par une maison concurrente. Il en est de même pour la Ferrari 250 GT SWB California Spider ex-Targa Florio vendue en après-vente entre 8,5 et 8,9 millions de dollars, soit l'un des prix les plus bas atteints par un 250 California Spider SWB au cours des 10 dernières années. Le temps passé sur le marché sans trouver d’acquéreur, sa face avant régulièrement modifiée et ses phares non carénés sont une explication.

Mon analyse ne serait pas complète si l’on ne se penchait pas sur les résultats obtenus lors du concours de Hampton Court à Londres. Avec 55% de lots vendus, Gooding & Co repart avec un résultat largement en deçà de ses attentes malgré toute la science de son commissaire-priseur Charlie Ross et du prestige du concours londonien. L’offre du catalogue peu « exotique » et la morosité ambiante en Europe depuis le début de l’année n’auront pas aidé, mais il faut souligner la vente de deux Ferrari des années 1950. La première est une très belle 250 GT Europa de 1954 estimée entre 1,6M$ et 1,9$ qui dépasse très légèrement son estimation haute et l’une des stars de la vente, la Ferrari 166 MM/53 Spider qui s’échange à l’estimation basse à 3,2M$. Sortant directement d’une collection depuis 63 ans, elle était la 5ème des 6 carrosseries Vignale Spider produites et la 11ème des 13 châssis construits… Elle traduit parfaitement ce qu’il faudra retenir de cet article. Elle quitte un pionnier de la collection après 63 ans passés dans son garage et s’échange au prix d’une F40 produite à 1 311 exemplaires.



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