Le mois de mars à Paris marque le retour de la semaine du dessin, un événement de renommée internationale et incontournable pour les amateurs de belles feuilles. Pendant ces jours consacrés au dessin ancien et contemporain, les collectionneurs, les passionnés d’art, les spécialistes, chercheurs et conservateurs de musée, viendront découvrir ou repérer des pièces de collection inestimables. La ville s’animera au rythme de rencontres, dont le Salon du dessin au Palais Brongniart, le salon Drawing Now Art Fair Paris au Carreau du Temple ou encore le DDESSINPARIS à l’Atelier Richelieu. En marge de ses rendez-vous pendant lesquels Paris deviendra la capitale des œuvres sur papier, la maison Aguttes proposera sa vente « L’esprit créateur », consacrée entièrement aux dessins anciens le 27 mars. La vacation Impressionniste & Moderne du 30 mars comptera quant à elle quelques belles feuilles signées.
Nous vous livrons en avant-première quelques-uns de ces travaux qui, pour certains, relèvent d’un acte qui viennent éclairer l’œuvre de l’artiste et pour d’autres, qui permettent de saisir sur le vif une situation, un éclairage, un sentiment…
La magnificence du roi Soleil animera la vente « L’esprit créateur » avec cette Étude pour une allégorie à la gloire de Louis XIV réalisée par Antoine Coypel. Initié très tôt aux œuvres sur papier par son père, l’artiste utilise une méthode toute particulière pour les dessins préparatoires qu’il crée pour chacune de ses toiles : dans un premier temps, il dessine des figures isolées à la pierre noire avant d’étudier la composition dans son ensemble, qu’il vient ensuite finaliser par l’usage de trois crayons que sont la pierre noire, la pierre sanguine et la craie blanche, apportant du dynamisme à la structure.
Antoine Coypel
Ce dessin, archétypal de l’art de Coypel, d’une exceptionnelle qualité et d’un prestigieux sujet fut conservé dans la famille royale jusqu’à sa possession par le comte de Chambord, qui l’offrit dans les années 1860 aux ancêtres des actuels propriétaires en remerciement de services rendus.
Lorsque, le 10 janvier 1832, Eugène Delacroix embarque dans le port de Toulon pour rejoindre l’Afrique du Nord, il a, comme tous les romantiques français, une connaissance livresque et hautement imaginative du faste Orient. Ébloui par les somptueuses couleurs, les étoffes et la lumière locale, le peintre retourne au Maroc et en Algérie en 1834. Il a alors l’occasion d’explorer les espaces domestiques et intimes, en particulier ceux réservés aux femmes qui sont d’habitude fermés aux yeux étrangers. C’est ainsi qu’il peint son chef-d’œuvre Femmes d’Alger (1834) conservé au musée du Louvre. De même, le dessin qui sera présenté à la vente le 27 mars représente une femme algérienne dans un intérieur domestique, appuyée près de la fenêtre. En quelques traits, Delacroix évoque le calme de la pause post-méridienne, dans la chaleur étouffée des intérieurs, et la description des costumes suffit à rappeler la richesse des cultures orientales qui le fascinent. Contrairement au dessin de Coypel dont la fonction purement intellectuelle sert à structurer et visualiser la composition dans son ensemble, le dessin de Delacroix exprime un sentiment, capture un moment unique et spontané.
Eugène Delacroix
On retrouve ce naturel et cette sincérité dans les œuvres du maître du cubisme, Pablo Picasso, qui fera le bonheur des collectionneurs internationaux le 30 mars lors de la vente Impressionniste & Moderne. L’année 1901 est un tournant important dans la carrière artistique du célèbre peintre. Alors qu’il commence à se faire un nom dans le monde de l’art, Pablo Picasso apprend le suicide de son grand ami catalan Carlos Casagemas. Il est profondément choqué par cette tragédie et son œuvre en est irrémédiablement marquée. On retrouve ainsi durant ces quelques années, des représentations qui témoigne de la souffrance, de la solitude et de la pauvreté à laquelle est confrontée Picasso. Il dessine des mendiants, des aveugles, des saltimbanques ou encore des prostituées aux silhouettes faméliques et aux regards durs. Dans Femme debout tenant deux enfants, on observe une silhouette maternelle pouvant correspondre aux portraits qu’il réalise à la prison pour femmes de Saint-Lazare qu’il va visiter à plusieurs reprises à la fin de l’été 1901. Le trait est épais, rapide et vif. Une mère est entourée de ses deux enfants. Son corps, tout en oblique, domine la composition, lui donnant une dimension sculpturale. Le visage de la mère est stylisé quand ceux des enfants sont cachés au regard du spectateur. Il n’identifie pas ses modèles mais crée un nouveau type misérabiliste de maternité. Cette œuvre, en quelques traits précis, voit naître la Période Bleue de Picasso, période qui révèlera son immense talent.
Maurice Utrillo
Maurice Utrillo connaît lui aussi une période difficile à ses débuts, l’art lui ouvre les portes d’un nouveau monde lui apportant sérénité et stabilité. Référence importante sur le marché de l’art, un dessin de l’artiste sera présenté lors de cette même vente. Ce croquis de composition représente le Moulin de la Galette en plein après-midi ensoleillé. L’artiste utilise le crayon de couleur qui permet de capter rapidement les détails de la scène. Il saisit ainsi sur le vif les nuances et les ombres. Le travail préparatoire de composition est essentiel à la réalisation des huiles sur toile. Ce dessin témoigne d’une étape nécessaire à l’achèvement d’une œuvre, et montre ainsi l’urgence et la précision avec laquelle il croque cette scénette urbaine qu’il connait si bien. Utrillo capture ici l’essence même de ce lieu de joie et de sociabilité. L’artiste représentera maintes fois le quartier de Montmartre, celui de son enfance et qui lui resta cher. Ses rues sont un élément d’inspiration sans fin pour l’artiste. Il peint et repeint les bâtiments et les ruelles qui l’interpellent. Le Moulin de la Galette va quant à lui, constituer une source d’inspiration picturale récurrente parmi les artistes souhaitant représenter l’essor des loisirs au tournant du siècle et la vie de quartier de cette époque.