LOUIS XIV DANS TOUTE SA SPLENDEUR
 

Antoine Coypel (Paris, 1661-1722) est le fils du peintre Noël Coypel qui travailla à Versailles sous la direction de Charles Le Brun et qui fut nommé en 1672 Directeur de l'Académie de France à Rome, tout nouvellement créée. Le jeune Antoine, alors âgé de seulement 11 ans, est autorisé à accompagner son père de 1672 à 1676, effectuant le fameux « voyage en Italie », étape obligée de la formation d’un artiste dès le XVIIe siècle. Il visite alors Rome, où il étudie les antiques et les grands maîtres, de Raphaël et Michel-Ange aux Carrache, ainsi que le nord du pays, la Toscane puis la Lombardie « pour y étudier les divers chefs d’œuvre du Corrège, du Titien et de Paul Véronèse »[1], qui devaient marquer sa peinture. Sous la direction de Noël Coypel, l’accent est mis, dans la formation des pensionnaires de l’Académie, sur le dessin pratiqué tous les jours lors de cours dispensés par l’artiste. Ce primat du dessin est particulièrement visible dans la production de son fils, qui crée, pour chaque toile, plusieurs dessins préparatoires, d’abord de figures isolées à la pierre noire, puis de compositions entières, dont l’aspect fini est renforcé par l’usage des trois crayons.



ANTOINE COYPEL (1661-1722). Étude pour une allégorie à la gloire de Louis XIV
Dessin aux trois crayons : pierre noire, sanguine, et craie blanche. 30 x 42,5 cm
Ancienne collection de la couronne de France jusqu’au Comte de Chambord



De retour à Paris dès 1676, Coypel présente au Dauphin Louis (1661-1711) une spectaculaire miniature, commémorant son mariage. Paru sous  forme de gravure, l’œuvre assoit la renommée du jeune peintre dans le tout-Paris aristocratique de son temps, et lui permet d’obtenir le soutien durable du Dauphin. Le 25 octobre 1681, Coypel est reçu à l'Académie Royale de peinture avec un tableau allégorique représentant Louis XIV couronné par la Gloire après la Paix de Nimègue en 1678, qui fait suite aux esquisses présentées auparavant aux membres de l’Académie.
 


Antoine Coypel, Louis XIV couronné par la Gloire après la Paix de Nimègue en 1678, musée Fabre, Montpellier.


En 1684, Antoine Coypel reçoit la commande, par un particulier (Claude II de Langlée), d’une grande composition représentant une Allégorie à la gloire de Louis XIV (allusion à la Trêve de Ratisbonne signée le 15 août 1684), assis sur un trône et vêtu de la pourpre impériale antique, couronné par l’allégorie de la Victoire. À gauche, l’allégorie de la Paix semble répandre les fruits de sa corne d’abondance sur des figures fluviales, tandis que, de l’autre côté du trône, celle de la Guerre domine deux lions, symboles de l’Espagne et des Provinces-Unies, et l’aigle, symbole de l’Empire.

« C’est ici la dernière allégorie connue d’Antoine Coypel tournant autour de la personne du Roi ; l’artiste ne reprendra plus ce genre avant le début du nouveau siècle, dans un style alors différent. Ce groupe homogène d’œuvres allégoriques se situant dans la jeunesse de Coypel (1680-84) montre l’influence dans l’iconographie et le style de ses deux principaux maîtres, Le Brun et Noël Coypel » [2]
 

Antoine Coypel, Allégorie à la gloire de Louis XIV (allusion à la Trève de Ratisbonne signée le 15 août 1684), Musée du Château de Versailles et du Trianon
 


Dès 1685, Coypel obtient la charge de Peintre ordinaire de Monsieur, duc d’Orléans et frère unique du roi et dès 1689, il devient « Premier Peintre de Monsieur ». Il fut également, plus tard dans sa carrière, le Premier peintre et ami de Philippe, duc de Chartres puis d’Orléans, fils aîné de Monsieur et futur régent du royaume. L’année 1685 marque donc le début d’un mécénat durable de l’artiste par la famille royale.

Le dessin que nous présenterons en vente le 27 mars prochain s’approche en plusieurs points des grandes et prestigieuses œuvres allégoriques composées à la gloire du souverain. Ces similitudes permettent de le situer tôt dans la carrière de l’artiste.

Ainsi, la composition structurée autour du personnage central assis sur un trône, entouré de nymphes et de putti, reprend ces modèles. La figure masculine qui préside à l’ensemble et l’infuse de sa lumière est quant à elle très proche des dessins préparatoires à l’Allégorie à la gloire de Louis XIV (1684), dont l’œuvre finale monumentale est conservée au Musée national du Château de Versailles. Les nymphes, représentées avec une riche abondance de couleurs grâce à la technique des trois crayons, tiennent en suspension autour du roi, prises dans un tournoiement dynamique et joyeux à la gloire de ce dernier. Elles rappellent également les études d’Antoine Coypel pour d’autres œuvres. Ainsi la nymphe à gauche du roi, le visage posé sur une main, le regard tourné vers la présence lumineuse de ce dernier, peut être rapprochée du dessin préparatoire à La Descente d'Enée aux enfers (1715-1717) peint pour la galerie du Palais Royal à Paris. Le personnage féminin virevoltant au premier plan et tenant une guirlande de fleurs évoque quant à lui l’allégorie de la guerre siégeant à la gauche du souverain dans l’allégorie de 1684. Le décor architectural à peine esquissé en fond fait référence aux tholos antiques, que l’on retrouve également dans les deux allégories mentionnées précédemment, et la figure du roi est, comme dans le tableau de 1684, posée sur une estrade circulaire en hauteur.


Antoine Coypel, Nymphe, étude pour La Descente d’Enée aux Enfers, 1715-17, musée du Louvre.
 


Ce dessin est archétypal de l’art de Coypel à son sommet : la composition, poussée par un souffle ascendant, est construite suivant une ligne diagonale par rapport au plan du dessin. La scène transmet une sensation de dynamisme et de densité créée par les grappes de personnages pris dans un mouvement tourbillonnant autour du noyau central. La richesse formelle des tons est offerte par la technique des trois crayons (typique de la dernière étape, la plus finie, des dessins préparatoires de Coypel) et par la lumière centrale prodiguant une chaleur à l’ensemble. Elle trouve également un écho dans la richesse iconographique symbolisée par la corne d’abondance tenue par le personnage du coin inférieur gauche, ainsi que par la multitude de guirlandes fleuries et la superposition des drapés majestueux. Les personnages qui peuplent la partie inférieure du dessin sont observés sous différents angles, et certains sont représentés en fort raccourci tandis que d’autres sont dessinés parallèlement au plan du dessin, faisant pleinement face au regardeur. Dans le plan supérieur de la feuille, Coypel complète le ciel par de petits groupes d’angelots joufflus qui rééquilibrent habilement les parties moins denses, composées de nuées rendues par des hachures enlevées à la pierre noire. Le traitement virtuose de l’espace dans le dessin imprime la force de son mouvement plus que de son sentiment de profondeur, et la scène resplendit par sa capacité à créer un univers parfaitement imaginaire.

Ce dessin d’une exceptionnelle qualité et d’un prestigieux sujet fut conservé dans la famille royale jusqu’à sa possession par le comte de Chambord, qui l’offrit dans les années 1860 aux ancêtres des actuels propriétaires en remerciement de services rendus.
 

[1] Vies des premiers peintres du Roi, depuis M. Le Brun, jusqu'à présent, Charles-Antoine Coypel, « Vie d’Antoine Coypel », p.2.
[2] Nicole Garnier, Antoine Coypel, 1661-1722 (1989), p.97