SAND George (1804-1876)

Lot 202
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Estimation :
5000 - 7000 EUR
SAND George (1804-1876)
L.A., [Paris 23 (?) septembre 1840], à Eugène DELACROIX ; 6 pages in-8. Très belle et longue lettre à Delacroix. «Mon cher vieux [...] Vous savez bien que vous me manquez diablement et que les soirées sont longues et tristes sans vous». Elle a été admirer le drame du Naufrage de la Méduse : «Cela nous a enchanté comme vous l'avez été, le radeau est vraiment une chose étonnante. C'est le tableau de Géricault animé, et ce qui m'a le plus surpris c'est qu'on soit arrivé à rendre la couleur terrible et blafarde ; la voile du vaisseau sauveur est aussi une chose merveilleuse. Que cela devait être beau quand les peintures étaient fraîches ! À présent tout cela est un peu éraillé, et pourtant c'est encore si impressionnant que nous en sommes sortis le cœur tout gros. Mais aussi, quelle situation à se représenter, quelles angoisses, et quel désespoir !» Puis elle parle du procès de Madame LAFARGE : «Jamais affaire a-t-elle été plus mystérieuse, plus confuse, plus mal menée, plus sèchement plaidée, plus salement poursuivie par le ministère public, et plus étrangement dénouée ? Oui, elle est coupable - oui, elle est sauvée de la mort par les circonstances atténuantes. Quelle atténuation, si elle a empoisonné son gueusard de mari avec tant de perfidie, de sang-froid et d'impudence ? Mais est-ce possible ? Mais le Laffarge a-t-il été empoisonné ? et qu'est-ce que la science en pareil cas ? Dans six mois d'ici Mr Orfila découvrira peut-être qu'il y a de l'arsenic dans le foie et dans le cerveau de tous les cadavres, comme il a découvert qu'il y en avait dans les os &c. Enfin voici une horrible accusation, où tous les accusateurs sont des faussaires [...] Et une accusée qui se montre supérieure en toutes choses, fine, bonne, digne, adorée des pauvres gens, inspirant des passions à tous les hommes, subjuguant tout son auditoire par un mot et un regard, montrant d'un bout à l'autre du procès une réserve, un tact, un goût, un charme qui s'emparent même des absens. Et au travers de ces deux camps, il y a un mystère indéchiffrable, autant de preuves d'innocence que de preuves de crime, des soupçons sur tout ce qui n'est pas l'accusée, des motifs pour tous les crimes excepté pour le sien. Le procès est plus embrouillé à la fin qu'au commencement. On refuse toute enquête morale sur les accusateurs, la moitié de la France est pour eux, l'autre moitié pour elle. Il y a donc grand sujet d'hésiter et de s'abstenir d'un jugement, car personne n'aime le vol et le poison et tout le monde se dit : Je n'y comprends rien, je n'en sais rien. Je ne voudrais pas l'absoudre, mais je ne voudrais pas la condamner. - Et voilà que pour en finir et pour s'épargner l'ennui de s'éclairer davantage, on finit par la réalisation du mot de BALZAC : elle est coupable, mais comme c'est son mari qu'elle a occis il faut admettre les circonstances atténuantes ! - Pauvre créature si elle est coupable ! Déplorable martyre, si elle ne l'est pas !»... Sand a été «tentée d'écrire là-dessus une sortie contre les statuts judiciaires, et l'esprit des lois. Ça n'aurait pas été aussi beau ni aussi savant que Montesquieu. Mais ça aurait été plus vrai sur bien des points». Mais elle ne voulait pas suivre les traces de Balzac avec l'affaire Peytel : «Cela n'était pas beau de sa part, et je ne sais si après cela, une plume littéraire pourra de longtems se consacrer à la défense d'un principe de ce genre, sans inspirer de vilaines méfiances sur le bon sens ou le désintéressement de l'auteur.» Il n'y a rien de bien nouveau... «Nous vivons toujours entre quatre murs verdâtres. La seule différence, c'est que nous avons allumé du feu, et qu'au lieu de faire du filet, je me fais des robes d'hiver. Il y en a qui seront, j'espère, de votre goût. Je griffonne toujours toute la sainte nuit, pour ne pas dire la sacrée nuit. Le matin, je vais au manège et je m'escrime avec la biche, la légère, la Béarnaise, et autres rosses sur lesquelles je passe mon humeur noire, en leur administrant les coups d'éperon que je voudrais donner au genre humain, les coups de cravache que je voudrais administrer à un tas de canailles qui nous font la vie et le cœur si tristes. Heureusement qu'il y a encore pour chacun de nous une demi-douzaine d'êtres à chérir et à estimer. Moi, j'ai des mioches à morigéner, un infâme gamin de CHOPIN à rosser et des coquins de vieux frères comme vous à donner au diable quand ils s'en vont courir la prétentaine loin de moi ! Il me paraît que la campagne vous monte à un diapason de poësie que je vous envie. J'ai cru lire une méditation d'Oberman ! Courage mon vieux, faites de la mélancolie pas trop noire, et quand cela rembrunira trop, revenez à nous, nous tâcherons de rire ou de jurer ou de nous plaindre en commun.
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