La Revue
PIERRE SOULAGES, AQUAFORTISTE






Si Pierre Soulages est particulièrement connu pour ses grandes toiles d’outre noir, profondes et vibrantes, son travail sur la technique de l’eau forte est tout aussi remarquable et représente même un aspect plus intime et plus personnel de sa carrière.

Encouragé par son confrère et ami Hans Hartung, il découvre la technique de l’eau forte dans les années 1950 à l’atelier Lacourière à Paris. S’appropriant très vite cette technique de gravure, il expérimente avec la corrosion provoquée par l’acide sur la plaque de cuivre. Il débute son travail en reprenant des compositions qu’il avait déjà réalisées sur toile auparavant, mais il se rend vite compte du potentiel créatif de l’eau forte, à laquelle il trouve un aspect unique qui lui plaît beaucoup.

Diversifiant sa pratique, tout en continuant de jouer sur le noir et ses nuances, son travail de la plaque de cuivre est très avant-gardiste. Les eaux fortes de Pierre Soulages laissent transparaître sur papier la quintessence de la morsure de l’acide sur le métal, et revêtent un aspect presque sculptural.

Refusant de se limiter à un usage traditionnel de l’eau forte, Pierre Soulages va même jusqu’à trouer le métal avec une certaine forme de violence délibérée. Il arrache la matière de son support dans un geste qu’il qualifie de « griffure », puis laisse à l’acide le loisir d’« inventer » à son tour. Lorsqu’il peint, c’est en ajoutant de la matière que Soulages manie la lumière, lorsqu’il grave, c’est l’inverse qui se produit : « Plus je creusais le cuivre, plus le noir était profond. Mais à force d’approfondir le noir, brusquement j’ai troué la planche, c’est-à-dire que j’ai trouvé le blanc, le blanc du papier à l’impression. À ce moment-là, tout a basculé. »





Pierre Soulages (1919-2022)
Peinture 102 x 81 cm, 30 mai 1981, 1981
Vendu 1 228 560 €, le 2 novembre 2022




Au fur et à mesure, le rectangle de cuivre disparaît de ses compositions. Les trous dans la plaque de cuivre la façonnent et la transforment en une forme abstraite. Pour Soulages, imprimer une forme rectangulaire sur un papier rectangulaire est un pléonasme qu’il cherche à bannir. L’acide crée des formes « fortuite », dont l’existence est conçue par l’artiste comme une aventure puisque c’est le hasard qui guide sa main.

Pierre Soulages réalise des eaux fortes de ce type tout du long de sa carrière, les différenciant de son travail de peintre et en en faisant une pratique indépendante : « J'ai fait de la gravure parce que, avec la gravure, quelque chose apparaissait ; quelque chose qui ne pouvait apparaître dans la peinture. ».

Malgré cette différenciation, le langage visuel de sa pratique de graveur se retrouve tout de même dans certaines de ses toiles. Cette huile sur toile de 1981 en est un exemple remarquable, réunissant les caractéristiques de ces deux univers, à cheval entre l’eau forte et l’outre noir, et dans laquelle la lumière et la matière sont toutes deux prévalentes.

La gravure a ainsi eu un impact considérable sur la pratique de Pierre Soulages, transformant même sa manière de peindre et de composer. Ses eaux fortes, loin de faire pâles figures face à ses plus grandes toiles, permettent finalement d’en comprendre toute la complexité, tout en nous offrant quelques-unes de ses plus belles compositions.

À travers le travail d’aquafortiste de Pierre Soulages, il est ainsi possible de découvrir un aspect inhabituel de sa carrière, mais qui pourtant représente près de 50 années de recherches et d’expérimentations.





Pierre Soulages (1919-2022)
Eau-forte XXXI, 1974
Eau-forte couleur, signée en bas à droite et numérotée 37/100 en bas à gauche
74.5 x 55.5 cm






ART CONTEMPORAIN

Vente aux enchères
Le mercredi 5 avril 2023 à 16h
Aguttes Neuilly


Responsable du département Art Contemporain
Ophélie Guillerot
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