La Revue 
LES LIVRES D'HEURES À TRAVERS L'EXEMPLE DES HEURES DE CATHERINE



Un manuscrit exceptionnel sera présenté lors de la prochaine Vente Aristophil, le 16 novembre 2022 : Les Heures de Catherine, à l’usage de Rome, enluminé par le Maître de Jean Charpentier et produit à Tours entre 1485 et 1490. La vente aux enchères de ce manuscrit nous donne l'occasion de revenir sur ce sujet passionant des livres d’heures.



Heures de Catherine, Miniature de l’Adoration des Mages par le Maître de Jean Charpentier.


Les livres d’heures sont toujours présentés comme les best-sellers du Moyen Âge et à raison, car on compte aujourd’hui plus de 100 000 livres d’heures conservés dans les institutions à travers le monde.
Ces livres liturgiques ont été produits pendant plus de trois cents ans de 1250 à 1550 à travers l’Europe (principalement dans le Nord de la France et dans les Pays-Bas méridionaux), non pour les institutions religieuses mais à destination des laïcs.
Ils sont souvent richement enluminés et contiennent différents textes liturgiques qui permettent à la population de pratiquer intimement leur foi. Le cœur du livre d’heures sont les Heures de la Vierge ; texte qui a donné son nom au recueil. Le possesseur d’un livre d’heures, à l’image des moines, devait s’arrêter huit fois dans la journée (selon les heures liturgiques : matines, laudes, prime, tierce, sexte, none, vêpres, complies) afin de lire la succession de psaumes, cantiques, hymnes et de courts extraits du Cantique des cantiques ; chacun introduit par une rubrique qui détermine sa fonction liturgique (antienne, capitule, répond, etc.). Cela devait probablement être murmuré rapidement au milieu des activités quotidiennes car cela ne prenait en réalité que quelques minutes.

Chaque livre d’heures est une pièce unique, du fait de sa composition textuelle, son usage et ses caractéristiques matérielles (écriture, décors, reliure, etc.). On pouvait trouver des manuscrits complets, ou les composer soi-même avec les différents cahiers et miniatures déjà réalisés ou bien commander directement les œuvres d’artistes spécifiques avec parfois enluminures personnalisées (commanditaire en prière, armes, etc.). Les clients étaient les rois, reines, princes ou ducs, notables, marchands, épouses et même des enfants, qui apprenaient souvent à lire avec ces manuscrits. Les jeunes femmes recevaient souvent des livres d’heures comme dot et les transmettaient de génération en génération (on retrouve souvent des livres de raison sur les gardes ou feuillets liminaires).

Les manuscrits s’ouvrent le plus généralement sur un Calendrier qui liste les saints célébrés durant chaque mois (ces saints sont variables selon la localisation) ; suivit des Péricopes évangéliques ; de prières à la Vierge (« Obsecro te » et « O intemerata ») ; des Heures de la Vierge (texte variable selon l’usage) ; des Heures du Saint Esprit et de la Croix (souvent abrégés) ; des Psaumes pénitentiels (suite de psaumes sur le thème du pénitence) ; des Litanies (incantation aux saints pour se protéger du mal) ; de l’Office des Morts (la peur de la mort soudaine était omniprésente durant le Moyen Âge, les possesseurs de livres d’heures utilisaient ce texte quotidiennement pour se prévenir de la mort et lors d’enterrements) ; des suffrages (prières aux saints) et des oraisons diverses (ces prières peuvent être intéressantes car elles trahissent les préoccupations et peurs de la période, comme par exemple, une prière à Sainte Marguerite pour les accouchements).



                    

Annonciation (Matines)                                                                      Annonce aux Bergers (Tierce)


L’analyse textuelle des livres d’Heures est déterminante pour contextualiser ce type de manuscrits car la composition des Heures de la Vierge et de l’Office des morts varie selon les régions (usage de Rome (comme ici), Paris, Utrecht, Sarum, etc.) et la présence de certains saints dans le calendrier, les litanies ou les suffrages est spécifique à certains lieux (par exemple Sainte Geneviève le 3 janvier pour Paris ou Saint Donatien le 14 octobre pour Bruges). L’usage du calendrier peut être également différent de celui des Heures de la Vierge ou de l’Office des Morts ; il est même souvent plus décisif pour localiser le destinataire du manuscrit.

Une analyse approfondie peut être nécessaire pour déterminer l’usage du calendrier comme ici pour notre manuscrit. Il est d’un usage très varié mais l’évêque de Tours, Saint Martin, et l’évêque de Paris, Saint Germain, sont les seuls évêques significatifs rubriqués. Les autres saints, à l’encre noire, sont des régions du Centre de la France. On trouve le 3 janvier à l’encre noire Sancte Genovese (Paris), mais elle est suivie le 10 par Guillermi (l’évêque de Bourges ?), le 15 par Boniti epi. (l’évêque de Clermont), le 27 par Juliani epi. (évêque du Mans), le 1er mars, toujours à l’encre noire, par Albini (évêque d’Angers), de nouveau Guillermi (évêque de Bourges) le 7 mai et le 28 mai Germani epi. (évêque de Paris), le 3 juillet à l’encre rouge Martini epi. (évêque de Tours) et le 31 encore à l’encre rouge Germani (évêque de Paris), le 11 novembre de nouveau à l’encre Rouge Saint Martin de Tours et une « Katherine virginis » à l’encre rouge le 25 novembre (prénom de la commanditaire ?).



Prière à Sainte Catherine (Suffrages)


Le but de l’illustration dans ces livres était à la fois de se repérer dans les textes mais aussi d’inspirer la dévotion et le recueillement au lecteur. On retrouve très souvent les mêmes sujets avec quelques variations pour introduire les différents textes. Les signes du zodiaques et les saisons pour le Calendrier ; les quatre évangélistes pour les Péricopes évangéliques ; dans les Heures de la Vierge, les sujets les plus récurrents sont l’Annonciation pour Matines, la Visitation pour les Laudes, la Nativité pour Prime, l’Annonce aux bergers pour Tierce, l’Adoration des mages pour Sexte, la Présentation au temple (ou la Circoncision) pour None, la Fuite en Egypte pour les Vêpres et le Couronnement de la Vierge pour Complies ; la Crucifixion pour les Heures de la Croix ; la Pentecôte pour les Heures du Saint Esprit ; le roi David pour les Psaumes pénitentiels ; Job ou Lazare pour l’Office des morts ; des miniatures des saints aux suffrages ; etc.



                    
David et Bethsabée (Psaumes pénitentiels)                                        Job sur son tas de fumier avec ses trois amis (Office des morts)



Le travail d’identification des ateliers ou artistes est également crucial pour localiser un manuscrit car l’étude du texte n’est pas toujours suffisante. De nombreux manuscrits réalisés dans plusieurs pays d’Europe sont à l’usage de Rome et d’autres ne sont pas directement produits dans leur régions ou pays de destination ; par exemple les ateliers flamands destinaient une partie de leur production aux marchands anglais (ils étaient à usage de Sarum ou de Salisbury avec même parfois rubriqués « secundum usum anglie »).

Pour notre manuscrit, l’identification de l’artiste par les spécialistes s’est faite sur plusieurs décennies. Un artiste anonyme a été pour la première fois reconnu par François Avril dans une publication de 1976 et en 1982, John Plummer regroupe un corpus de manuscrits très proches par le style pictural entre deux enlumineurs qu’il dénomme les « Maître du Morgan 96 » et « Maître du Morgan 366 ».
En 1993, Nicole Reynaud signale que les manuscrits new-yorkais sont « trop apparentés dans la modestie de leur ambition pour ne pas être issus d’un même atelier qu’il est plus prudent d’étudier comme un ensemble unique », l’œuvre de l’atelier dès lors regroupé autour du « Maître de Jean Charpentier », nom d’emprunt donné à partir d’un livre d’heures exécuté pour Jean Charpentier, notaire et secrétaire du roi de France Charles VIII. Beaucoup des livres d’heures produits étaient à l’usage de Tours mais l’atelier semble avoir travaillé dans une zone plus vaste qui allait de l’Anjou au Poitou en passant par le Comté de la Marche et même Rouen.

Le style est caractérisé par une large palette de couleurs avec des ors liquides, du bleu, vert, rouge et mauve ; des personnages aux postures fières, la peau blanche, le front large et des drapés somptueux (voir l’Annonciation). Les compositions trahissent l’influence de Jean Fouquet et la technique se rapproche du Maître d’Adelaïde de Savoie (actif à Angers et Poitiers entre 1450 et 1470).





Saint Luc (Péricopes évangéliques)

Les livres d’Heures sont une richesse indiscutable pour l’étude de l’art médiéval. Les variations textuelles qui permettent de localiser les manuscrits et les nombreuses miniatures qu’ils contiennent sont une source importante pour identifier les styles artistiques de cette période. Ils ont toujours fait l’objet d’une grande admiration par les collectionneurs à travers les siècles et la richesse des enluminures en fait un des rares objets du Moyen Âge accessibles au public non averti. Les exemplaires luxueux destinés aux grands personnages ont fait la renommée des livres d’Heures (comme les Très Riches Heures du duc de Berry ou les Heures d’Anne de Bretagne) ; à tel point que l’on trouve encore aujourd’hui des cartes postales avec leurs miniatures pour célébrer les fêtes chrétiennes.





Vente N° 55 • ORIGINE(S)
Deux mille ans d’écrits : du papyrus au livre imprimé


Vente aux enchères
Le mercredi 16 novembre 2022 à 14h30
Aguttes Neuilly

 
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Exposition publique
Les 14 et 15 novembre 2022 de 10h à 13h et de 14h à 18h
Le 16 novembre 2022 de 10h à 13h.
Autres dates sur rendez-vous.


Sophie Perrine
Commissaire-priseur habilité 
+33 1 41 92 06 44 • perrine@aguttes.com

Assistée de Laura Lebarbey, spécialiste en livres et manuscrits anciens