La Revue 
QUAND DUIFFOPRUGCAR FAIT VIBRER LES ENCHÈRES






         

Attribué à Gasparo DUIFFOPRUGGAR (ca. 1514-1571)
Exceptionnelle basse de viole à cinq cordes. Le fond de l'instrument entièrement marqueté avec incrustations de bois de différentes essences et couleurs représentant le Moïse de Michel-Ange dans un entourage de cuirs découpés, il est surmonté d'une coquille concave supportant des guirlandes de feuillages et fruits. Tête richement sculptée.
Milieu du XVIe siècle.
Etiquette de Duiffopruggar.
Table et éclisses en épicéa. XIXe siècle.
Mesure sur le fond : 64,5 cm. Longueur de la touche : 54 cm - Hauteur de la tête : 23 cm
(Probablement restaurée par Claude Michallon, luthier, au XVIIe siècle et Jean-Baptiste Vuillaume, luthier, au XIXe siècle)




Faire vibrer, tant au sens propre qu’au figuré. Faire vibrer pour émettre un son, transmettre une émotion, créer quelque chose de plus grand que soi. Cet aspect transcendantal lié à chaque instrument semble provenir de leur nature propre, objets nimbés d’humanité, capables de nous renvoyer, par le biais d’une mélodie, à nous-même ainsi qu’aux autres. Sainte Colombe, dit-on, pouvait imiter les inflexions de la voix par le mouvement de son archet sur sa viole. Sans doute est-ce parce que les sentiments humains sont immuables que les instruments diffusent si bien un parfum d’éternité.

Mais combien l’humanité peut-elle s’accroître lorsque la légende s’en mêle. Cette dernière porte un nom aussi fameux que mystérieux : Gaspard Duiffoprugcar.
Choron et Fayolle nous apprennent dans leur Dictionnaire historique des musiciens, artistes et amateurs, publié entre 1810 et 1811, que Duiffoprugcar était un célèbre luthier né dans le Tyrol italien vers la fin du XVème siècle. Après avoir voyagé en Allemagne, il vint se fixer à Bologne dans les premières années du XVIème siècle. François Ier, de passage en 1515 pour établir le concordat avec le pape Léon X, entendit alors parler de ses talents légendaires. A force d’offres avantageuses, le Roi réussit à le déterminer à venir s’établir à Paris.

J. P. Henry Coutagne, dans son ouvrage Les luthiers lyonnais au XVIe siècle (1893), précise que Duiffoprugcar serait né dans la ville bavaroise de Freising vers 1514. Par ailleurs, bien que François Ier fît venir Leonard de Vinci lors de sa venue à Bologne, rien n’est moins sûr concernant notre luthier. Néanmoins, Henri II le naturalisa en vertu d’une lettre émise en janvier 1558, déclarant :

« Henri par la grâce de Dieu, roy de France, à tous présents et advenir, salut. Scavoir faisons nous avoir receu humble supplicacion de nostre cher et bien amé Caspar Dieffenbruger, alleman, faiseur de lutz, natif de Fressin, ville impériale en Allemaigne, contenant qu'il ya ja longtemps qu'il a laissé ledict lieu de sa nativité pour venir se habiter en nostre ville de Lyon où il est à présent résidant avec ferme et entière délibéracion de y vivre et finir ses jours soulz nostre obéissance et comme notre vrai et naturel subjest si nostre bon plaisir est pour tel tenir et recevoir . »

Les termes chaleureux de cette lettre de naturalisation font montre d'une véritable estime de la part du Roi envers Duiffoprugcar. Aussi, quand bien même ce dernier n'aurait pas été appelé par François Ier, un traitement particulier lui était réservé par le fils de celui-ci. Mais quel lieu commun de se contenter de mentionner la notoriété de Duiffoprugcar lorsque la légende est encore ailleurs. Et pour cause ! Seulement trois violes sont associées au maître : la première est au Musée des Instruments de Musique (MIM) de Bruxelles, la seconde se trouve à La Haye et la troisième vous sera proposée lors de la prochaine vente de notre département Mobilier, Objets d'Art.

Le premier propriétaire connu de ces trois violes est Jean-Baptiste Bonaventure Roquefort (1777-1834) , qui les identifia comme étant de la main du maître. Une étiquette mentionnant « A la coste Saint Sebastien CASPAR DVIFFOPRVGCAR A Lyon » est d’ailleurs visible dans le fond de la caisse.






Vue sur l’étiquette collée sur le fond de la caisse






Viole dite du « Plan de Paris », Musée des Instruments de Musique de Bruxelles



    

Détails de la tête




Notre viole a également fait l'objet de restaurations, datant du XIXème siècle, au niveau de la table et des éclisses. Ceci étant, l’immense qualité de la tête sculptée et de la marqueterie de la touche et du dos de la caisse, représentant le célèbre Moïse de Léonard de Vinci, implique un grand savoir-faire et corrobore notre attribution à Duiffoprugcar.



               

Détails de la marqueterie de la touche et du dos



Il est toujours intéressant d’observer les interactions qui existent entre un artiste et sa création, de voir comment la main et le geste constituent l’histoire. Le fait que cette viole de gambe puisse avoir été réalisée par Duiffoprugcar lui donne certes une attribution mais ajoute un élément bien plus illustre, celui d’être l’un des uniques exemplaires d’une viole datant du XVIème siècle.

Aussi sommes-nous fiers qu'Aguttes soit la première maison de ventes à présenter cette célèbre viole de gambe aux enchères le 9 décembre prochain, contribuant ainsi à l’avenir d’un objet au si précieux passé.






HAUTE ÉPOQUE

Vente aux enchères
Le vendredi 9 décembre à 14h30
Aguttes Neuilly



Grégoire de Thoury 
Responsable du département Mobilier & Objets d'Art
+33 1 41 92 06 46 • thoury@aguttes.com