La revue 
LA NATURE REPOSÉE DE LOUYSE MOILLON


 

Née à Paris au tout début du XVIIe siècle, Louyse Moillon est la fille de Nicolas (c. 1580-1620), peintre déjà bien intégré au cercle des artistes parisiens. Natif des Ardennes, il arrive à Paris vers la toute fin des années 1590 et s’installe à Saint-Germain-des-Prés où il exerce quelque temps avant d’entrer dans l’Académie de Saint-Luc et de déménager vers le pont Notre-Dame. Lorsqu’il meurt en 1620, Louyse n’a qu’une dizaine d’années et s’il a pu commencer à lui enseigner l’art de la peinture, c’est son beau-père François Garnier qui prend le relais auprès d’elle. Peintre de natures mortes, il a été l’influence la plus déterminante dans la construction de l’identité artistique de la toute jeune artiste. C’est lui qui, véritablement, lui transmet sa très belle maîtrise du pinceau et des couleurs.


Si le corpus certain de cet artiste est restreint, nous ne pouvons manquer toutefois de faire le parallèle avec l’une de ses compositions à l’exacte même disposition que le tableau que nous présentons aujourd’hui (Fig. 1). C’est sans doute côte à côte que François Garnier et Louyse Moillon ont dû observer et peindre chacun une nature morte aux fraises, cerises et groseilles à maquereau. Agée de 21 ans, l’élève semble dépasser le maître dans l’emploi de sa palette et le relief autre qu’elle donne à ses objets.





François GARNIER
Paris, 1634
(Fig 1) "Nature morte à la coupe de fraises, panier de cerises, branche de groseilles à maquereaux"




Peintre protestante, l’artiste a été profondément influencée par la tradition des natures mortes flamandes et hollandaises contemporaines. Celle-ci s’était particulièrement diffusée à Paris lorsque toute une communauté de peintres septentrionaux sont venus s’installer sur les rives de la Seine, permettant aux peintres locaux de les copier et s’approprier leurs techniques. A l’instar de ce que l’on peut voir dans les tableaux nordiques, se remarquent déjà une grande sobriété de l’agencement, un dépouillement extrême et une forme de rigueur janséniste. De même les couleurs, plus chaudes que vives, semblent se plier à ce que le dogme protestant préconisait sous l’égide de Calvin qui avait-lui-même théorisé leur emploi ainsi que la spatialité des compositions. Sans jamais céder à la superficialité, les peintres devaient ainsi se tenir sobrement à la représentation de l’objet ainsi que Dieu l’avait créé.

Suivant ces codes et ceux qu’elle applique tout au long de sa carrière, Louyse Moillon structure son espace d’une simple planche de bois légèrement inclinée vers nous. Elle dispose dessus des fraises offertes dans un plat de porcelaine blanche et bleue, un panier de cerises dont une s’est échappée et une grappe de groseilles à maquereau. Seul l’ensemble est éclairé d’une lumière venue de la gauche, laissant le fond et l’environnement dans une complète obscurité. La sobriété de l’ensemble est d’autant plus présente qu’elle s’agence selon un strict schéma triangulaire.

La déclinaison des différents éléments permet par ailleurs à l’artiste de jouer des matières. La fragilité de la chair des fruits cohabite avec le râpeux de l’osier, la finesse cassante de la porcelaine et la simple rusticité de l’entablement.

Epurée, la palette chromatique se décline autour des noirs, des rouges, des bruns et des blancs dont les jeux des ombres enrichissent subtilement une gamme de couleurs restreinte. Le fond sombre choisi confère à l’ensemble une aura de mystère, laissant les éléments de nature morte jaillir sous nos yeux. Cette intensité des contrastes apparaît représentative de la première partie de la carrière de l’artiste.

Il serait presque paradoxal (et dommage ?) de parler de « nature morte » pour les œuvres de Louyse Moillon. Avant le milieu du XVIIIe siècle, le terme employé pour les désigner était celui de « nature reposée », « nature silencieuse » et se rapprochait davantage de ses traductions anglaise, Still-Life, ou hollandaise, Stilleven. Ce n’est pas la mort que représente l’artiste, ni même la vanité ou la fugacité inexorable du temps mais la vie. A ce propos, la question a été soulevée de savoir si les natures mortes de Louyse Moillon étaient ou non porteuses de messages, de symboles. Se plaçant iconographiquement, stylistiquement et techniquement dans la tradition de ses aînés du Nord, cela aurait pu être le cas. Toutefois, selon son biographe Dominique Alsina, il ne faut voir dans les fruits de l’artiste, que le souhait de nous présenter ce qu’elle a pu observer. De partager, au-delà des lieux, des années où elle n’est plus, ce qu’elle a pris le temps de contempler. Là est peut-être toute la poésie de l’instant et la discrétion de son art.





 
Louyse MOILLON
Paris, 1609/1610 - 1696
Coupe de fraises, panier de cerises et groseilles à maquereau
Huile sur panneau
Signé et daté en bas à droite Louyse Moillon / 1631
36 x 50 cm
Estimation : 150 000 - 200 000 €







MAÎTRES ANCIENS : TABLEAUX & DESSINS

Vente aux enchères
Le vendredi 25 mars, à 15h 

Exposition
Le mercredi 23 mars : 14h - 18h
Le jeudi 24 mars : 11h -20h
Le vendredi 25 mars : 11h - 13h

Hôtel des ventes Drouot - 9 Rue Drouot, 75009 Paris


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Grégoire Lacroix
Directeur du département Tableaux & Dessins Anciens
+33 1 47 45 08 19 • lacroix@aguttes.com